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LONDOÑO-BRIDGE : LE VOLANT OU LE PLOMB

En 70 ans d’existence, la Formule 1 en a vu passer des phénomènes. Plus de mille pilotes ont tenté leur chance en catégorie reine mais moins de 800 ont pu participer à un Grand Prix. Aujourd’hui, parlons de quelqu’un qui a été recalé justement.

Il est de coutume pour les pilotes d’hériter d’un surnom durant leur carrière. Les sobriquets qu’ils peuvent recevoir laissent franchement rêveur : Kimi “Iceman” Räikkönen, Michael “Baron Rouge” Schumacher, Mika “Finlandais Volant” Häkkinen, etc. Mais aucun n’inspire la peur. Quoi ? Vous pensez vraiment que Stirling Moss se chiait dessus lorsqu’il tentait de doubler Mike “Papillon” Hawthorn ?

Enfin, il y a peut-être ce surnom qui sort du lot : Ricardo “Cuchilla” Londoño-Bridge.

TÍO SAM

Un pilote qui se fait surnommer Cuchilla, littéralement la lame, le couteau… Ça ne me fait pas vraiment penser à d’éventuels exploits en piste. Et puis quand on s’intéresse de plus près au pilote, on se rend bien vite compte que notre première impression était juste. Il suffit simplement de regarder son acte de naissance :

8 de agosto de 1949, Medellín, Colombia

On en sait très peu sur ce pilote. On ne sait pas d’où il vient et encore moins si Londoño-Bridge – traduction espagnole approximative du Pont de Londres – est son vrai nom. Toutefois une chose est sûre : c’est un pauvre qui a de l’argent. Le pilote est massivement soutenu par la Fedecafé et par un certain Pablo… Emilio… quelque chose dans le genre.

Même ses exploits en piste sont inconnus ! Lorsque ce dernier quitte sa terre colombienne au crépuscule des années 1970, les journaux locaux laissent supposer le fait qu’il excelle en stock-car et en moto mais rien de plus.

De toute façon, ce n’est dans aucune des deux catégories citées que l’on voit Londoño-Bridge courir aux Estados Unidos. Le pilote a fait le grand saut, à 30 ans tout de même, et dispute quelques courses en IMSA. Fait admirable, il termine septième des réputées 24 Heures de Daytona en 1980. La même année, financé par un concessionnaire auto et par l’ami Pablo, il monte sa propre équipe en Can-Am et finit à la douzième place au classement général.

MILAGRO INGLÉS

Tournant visiblement à la blanca, il s’engage dans un troisième championnat en 1980. Londoño-Bridge prend un billet pour la Grande-Bretagne et participe au championnat anglais de Formule 1, l’Aurora AFX. Il s’inscrit pour la dernière épreuve sur le circuit de Brands Hatch mais doit encore se dégoter une voiture. Il rencontre un gars, Colin Bennett, qui lui propose un deal incroyable que seul un pendejo refuserait : une Lotus 78 pour trois fois rien.

L’arme du crime.

Sauf que Bennett ne lui dit pas tout. La voiture en question a remporté 7 Grands Prix de F1, certes, mais elle est vieille de trois ans et aurait dû finir à la casse… deux fois. En juin 1980, Gianfranco Brancatelli (c’est son vrai nom) détruit complètement. Mais deux mois plus tard, la 78 revient sur les circuits, cette fois confiée à Désiré Wilson. Et la Sud-africaine achève de nouveau la voiture lorsqu’un roulement casse à pleine vitesse.

Ce qui devait arriver arriva. À son volant, Londoño-Bridge est lui aussi victime d’un sévère accident lors des essais. Bizarrement, il en sort indemne. La voiture Le cercueil roulant est remis en état de marche pour la course et le Colombien fait des miracles. Pour sa première course en monoplace, le pilote termine septième, à la porte des points ! Bennett est impressionné par ce prodige et fait de Londoño-Bridge son protégé.

ENSIGN Y BILLETICO

Entre temps, Morris Nunn, fondateur d’Ensign – une petite structure de F1 des années 1970 – a cruellement besoin de dineros. Pendant l’intersaison 1980-1981, Colin Bennett fait son entrée dans le capital de l’équipe. Ni une ni deux, il s’entretient avec Nunn pour lui vanter les exploits de son poulain colombien et de son potentiel financier muy interesante.

Ensign avait déjà engagé Marc Surer pour disputer le championnat 1981 mais l’écurie le met sur la touche au Brésil en faveur de Londoño-Bridge. Le Colombien arrive sur le circuit de Jacarepagua pour la deuxième course de la saison. Il se présente dans le garage Ensign, serre quelques mains et pose une seule question :

Tenant à la vie, Mo Nunn choisit l’argent sans réfléchir plus longtemps. Soulagé de quelques deniers américains, Londoño-Bridge n’a plus qu’à obtenir sa super-licence pour disputer la course. Avant cela, il doit participer aux essais du mercredi. Il s’agit d’une séance d’acclimatation pour les pilotes, le circuit de Jacarepagua s’étant absenté du calendrier pendant deux ans.

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La seule photo de Londoño-Bridge en F1.

¿SUPERLICENCIA?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Colombien impressionne. Il hisse la rétive N180B, basée sur un châssis vieux d’un an, à la dix-huitième place de la séance. Londoño-Bridge est peut-être à quatre secondes du meilleur temps de Carlos Reutemann, le pilote se permet tout de même de devancer Nelson Piquet, René Arnoux et Jean-Pierre Jabouille. Des hommes qui pèsent trois titres de champion du monde et 32 victoires en F1 ! Encore mieux, le Colombien est dans la même seconde que les légendes Gilles Villeneuve, Alan Jones, Keke Rosberg… et Andrea de Cesaris, qui n’est plus à présenter.

Une performance qui en laisse plus d’un sur le cul mais surement pas Rosberg. À cette époque, le Finlandais est encore loin de la gloire et très proche de la non qualification. Agacé par le Colombien en piste, il le brake-check et l’inexpérience fait le reste : Londoño-Bridge n’a pas le temps de réagir et les deux voitures entrent en contact. Un acte honteux motivé par une jalousie maladive face à ce talent brut ? C’est un secret que Rosberg emportera dans sa tombe, j’en ai bien peur.

L’incident est malheureux mais il est suffisant pour les commissaires de la FIA. Londoño-Bridge n’obtient pas de superlicence. Dépité, Mo Nunn fait le tour des hôtels de Rio jusqu’à trouver un Marc Surer légèrement éméché la nuit précédant les qualifications. Ce sera lui qui pilotera l’Ensign alors que Londoño-Bridge a déjà payé sa place ! Une situation qui amuse Surer, lui qui finira quatrième de la course avec le meilleur tour en prime.

Remplaçant au pied levé, Surer participa aux qualifications avec les sponsors de Londoño-Bridge encore sur la voiture !

RECICLAJE PROFESIONAL

Et Londoño-Bridge dans l’histoire ? L’aventure en F1 du Colombien aura duré le temps d’une séance d’essais. Il aurait déclaré qu’il préférerait mourir en conduisant des motos en Colombie qu’emprisonné au volant d’une épave en F1 mais on a du mal à le croire. L’animal est revu vite fait en Formule 2 en 1981 puis en IMSA de 1983 à 1985. Le pilote devait participer de nouveau aux 24 Heures de Daytona en faisant équipe avec un certain Diego Montoya, l’oncle du très calme Juan Pablo Montoya. Mais Londoño-Bridge déclare forfait au dernier moment.

Il arrête dans la foulée sa carrière de pilote automobile pour se concentrer sur l’activité sympathique qu’est le trafic de drogue. Le Colombien se rapproche sensiblement des narcos locaux dans les années 1990 puis il se fait choper avec plus d’une tonne de cocaïne dans son domicile. Quelques années plus tard, en 2009, Londoño-Bridge se fait flinguer par le gang des Urabeños. On retrouve l’ancien pilote avec douze balles dans le corps, toutefois la police n’a pas exclu la thèse de l’accident.

Malheureusement, Ricardo Londoño-Bridge ne fait pas partie des 764 heureux qui ont pris part à un Grand Prix. Il aura suffit d’une erreur de débutant pour que le tout premier pilote colombien de Formule 1, financé par Pablo Escobar, soit privé de course ! Parfois, les rendez-vous avec l’Histoire sont manqués de très peu.


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