Une équipe italienne, soutenue par Martini & Rossi, qui a tout cassé dans les formules inférieures, et même révolutionné la philosophie des monoplaces… Sur le papier, ça en jette non ? Mais une fois dans le grand bain de la F1, ça ne va pas être la même limonade pour la Tecno.
Le sport automobile italien des années 1960-70 était synonyme de fratrie. Côté pilotes, les transalpins pouvaient compter sur le talent de Tino et Vittorio Brambilla. Même combat du côté des ingénieurs. Grâce aux frères Pederzani, les Italiens font savoir au monde entier qu’en travaillant main dans la main, on peut accomplir de grandes choses. Et ironie du sort, ces mêmes Pederzani vont faire tout l’inverse une fois en F1…
TECNO LOGIQUE
Luciano Pederzani et Jean-François (Gianfranco en italien dans le texte) Pederzani. Deux têtes bien faites qui, après avoir débuté en concevant des pompes hydrauliques, lancent dans les années 60 leur propre équipe de course : Tecnokart. Comme le nom l’indique, les Pederzani fabriquent des kartings à Bologne, non loin du circuit d’Imola. Et les deux fratelli vont vite connaître les joies de la victoire : quatre titres mondiaux consécutifs, de 1964 à 1967, avec leur bolide nommé “Piuma”.
Ayant toujours faim d’aventures et de renommée, les deux passent ensuite par la Formule 3, puis la Formule 2. Raflant succès sur succès dans les deux catégories, les Tecno (nom raccourci adopté en 1968) sont facilement reconnaissables des autres monoplaces avec un cockpit très avancé. Une architecture qui met le pilote en confiance vu que ce dernier a les jambes au niveau voire au-delà de l’axe des roues avant. Bien évidemment, je vous parle d’un temps où conduire une voiture de course était plus dangereux que de jouer sur l’autoroute. De nuit. Sans gilet jaune.
Toujours est-il que les formules inférieures, ça les gagne. Tecno goûte une première fois à la victoire en F2 en 1969. Un an plus tard, avec Clay Regazzoni, Tecno remporte le Championnat d’Europe de Formule 2. Et dès la saison suivante, tous les pilotes de la filière Elf, à savoir des certains Patrick Depailler, JP Jabouille, François Cevert, roulent en Tecno !
Ces succès en pagaille grisent les frères Pederzani qui prennent une lourde décision en 1972. Le règlement F2 change profondément et la cylindrée des moteurs augmente (de 1600 cc à 2000 cc). Les Tecno F2, en réalité des F3 maquillées, deviennent donc obsolètes. Les Italiens se disent alors “cazzo, on passe en F1.”
PA123 AU SHAKER (PAS A LA CUILLÈRE)
Et Tecno débarque dans l’élite avec un soutien de taille d’entrée de jeu : le comte Rossi, propriétaire de Martini ! Et oui, avant d’orner les superbes Brabham blanches d’Ecclestone, Martini est entré en F1 par la petite porte. Vraiment très petite.
Contrairement à March, Politoys, Ensign, toutes ces équipes des seventies qui se contentent de construire un châssis et d’y coller un moteur Cosworth, Tecno ne veut pas se faciliter la vie. Il faut savoir qu’à cette époque, 90% du plateau est fourni par Cosworth et son V8 DFV. Pas assez prestigieux pour Tecno, qui veut tout faire comme la grande sœur Ferrari. En six mois sont construits châssis, le PA123, et moteur, un douze cylindres à plat qui va s’avérer lourd, pas fiable pour un sou et signer la mort de l’équipe avant même qu’elle ne dispute sa première course. Nanni Galli, ancien de la maison à l’époque F2, est engagé comme pilote.
Galli, parlons-en justement. C’est à l’Italien que l’on confie les clés de la toute première Tecno Formule 1. Celle-ci fait ses débuts en Belgique, sur le circuit de Nivelles. Le châssis 001 aura une durée de vie de 54 tours : Galli décide de l’achever à coup de Regazzoni, deuxième, qui passait dans le coin. Direction la casse…
SCISSION
Lors de la course suivante, Galli est étrangement promu chez Ferrari pour remplacer un Regazzoni convalescent (rien à voir avec l’accident de Belgique, il s’est blessé en jouant au foot avec ses mécanos). Les Pederzani font appel à Derek Bell, moins connu sur une Tecno, plus sur une Porsche 962C fendant l’air dans la ligne droite des Hunnaudières.
Galli reprend du service et du rail de sécurité à Brands Hatch mais parvient tout de même à décrocher le meilleur résultat de la saison pour l’équipe lors du Grand Prix d’Autriche : être à neuf tours du vainqueur… Les frasques de Galli poussent Tecno à aligner Bell pour les deux derniers Grand Prix de la saison. Le Britannique s’inspire de son équipier en se sortant dans le tour de formation au Canada.
Dire que la prima stagione de Tecno fut compliquée est un léger euphémisme. Le retour sur Terre est plus que brutal. Pire encore, le comte Rossi n’a pas vraiment apprécié le fait que Martini soit associé à une équipe moisie. Celui-ci engage deux personnes pour sauver le navire. David York devient le directeur de l’équipe et Gordon Fowell le nouveau designer. Un véritable affront pour les frères Pederzani : voilà que des anglais viennent se mêler à l’histoire !
Ah ça, les deux italiens ne l’entendent pas de cette oreille. Échaudés par le remaniement du comte Rossi, ils envoient York et Fowell compter fleurette et appellent Alan McCall à la rescousse pour faire évoluer le châssis PA123 de 1972. McCall bricole un truc en un petit mois puis s’en va, laissant les frères Pederzani impuissants face au groupe York-Fowell bossant sur une toute nouvelle monoplace, la E731.
TECNO FUTURE
Tout ce capharnaüm n’aide pas l’équipe à progresser. L’intersaison 1972 passe à vitesse grand V, le premier GP de la saison 73 arrive et Tecno travaille simultanément sur deux voitures différentes ! Pire encore, les Pederzani tentent de recruter Regazzoni, en partance de Ferrari. Mais le comte Rossi s’y oppose et le tandem York-Fowell signent un autre pilote…
Bon, ce n’est pas le dernier des manches non plus. On parle ici d’un Chris Amon. Mais il faut savoir qu’en embauchant un tel pilote, on s’expose à un risque. Un très gros même. Vous voyez, l’homme avait le coup de volant, certes. Mais le pauvre Amon était tellement malchanceux que Graham Hill a dit de lui un jour que s’il s’engageait dans les pompes funèbres, alors les hommes cesseraient de mourir ! Pour une petite équipe en développement comme Tecno, avoir un tel chat noir dans l’équipe ne peut donc être que bénéfique.
Le premier GP passe, le deuxième aussi, le troisième… Bon allons droit au but, Tecno effectue sa rentrée 1973 en Belgique, qui est déjà la cinquième date du calendrier. Amon est embarrassé devant l’embarras du choix : deux monoplaces différentes sont à sa disposition ! D’un côté, la PA123 évoluée, la fierté des Pederzani. De l’autre, la E731 imposée par Martini. Pas tout de suite emballé par cette dernière, Amon fait confiance aux frères fondateurs et se qualifie avec la PA123.
Et là, miracle. Le pilote kiwi déjoue tous les pronostics en plaçant sa Tecno à la sixième place au drapeau à damiers, offrant à l’équipe le seul point de son histoire ! Amon était peut être malchanceux, mais qu’est-ce qu’il était rapide…
MORALE
York et Fowell viennent de perdre une bataille mais pas la guerre. Encore une fois, Amon a le choix entre PA123 et E731 à Silverstone. Peut-être menacé par ses patrons, enfin ses patrons anglais je veux dire, Amon tente de qualifier la E731… qui s’avère être un authentique veau. Et par dessus le marché, le cockpit est trop étriqué pour que le corps d’Amon (à mi-chemin entre le jockey et le talonneur) puisse s’y glisser.
Les courses passent et le cirque reste le même. La presse italienne fustige les actions de Martini et de York-Fowell et les journalistes britons s’en donnent à cœur joie pour railler les Pederzani qui ont fait des pieds et des mains pour être sponsorisés par Martini… pour au final dire au comte Rossi d’aller caguer à la vigne.
Sans aucune porte de sortie, Amon choisit la défenestration et quitte l’équipe suite à deux camouflets consécutifs. En Autriche, le Néo-zélandais casse tellement de moteurs qu’il finit par faire face à une voiture avec un trou béant en lieu et place du V12 habituel. Et la pilule sera encore plus dure à avaler en Italie. Course à domicile pour Tecno et pour Amon, qui a une place spéciale dans le cœur des tifosi. Avec un douze cylindres au cul, Tecno réussit le tour de force d’être exclue des qualifications pour… lenteur aggravée. Al Pease aurait été tellement fier.
Au soir de la course italienne, Tecno est aux abois. Le comte Rossi décolle lui-même les stickers Martini sur la voiture et Amon préfère être au chômage plutôt que de conduire cette F1. Les frères Pederzani n’ont plus vraiment le choix : ceux-ci se retirent du sport automobile avec effet immédiat, jurant mais un peu tard qu’on ne les y prendrait plus…