On s’est volontiers moqué des performances de HRT, Caterham ou Marussia/Manor il y a quelques années. Mais ces trois équipes peuvent se targuer d’avoir tenu plusieurs saisons dans l’élite, ce qui n’est pas du tout le cas de certains…
En F1 comme dans n’importe quel autre sport, la préparation est très importante et ne doit surtout pas être mise de côté. Cela concerne les pilotes comme les équipes, voyez plutôt.
Lola. Ce constructeur britannique avait très bonne réputation dans le milieu du sport automobile. Depuis les années 1960, impossible de ne pas croiser leurs voitures : F1, F2, F3, F3000, CART, ChampCar, Endurance, GT, CanAm… la liste n’est même pas exhaustive. Et ils gagnaient ! C’est aux Etats-Unis que leur hégémonie fut la plus forte, à tel point que 90% du plateau CART était équipé de châssis Lola entre 1989 et 1993.
VIE DE FOURNISSEUR
Eric Broadley, père fondateur de Lola, se lance en F1 en 1962. Tout comme les célèbres Reynard et Dallara, le constructeur s’en tient à la fourniture de châssis. Au fil des années, Lola s’associe à de grands noms du sport automobile lançant leur propre équipe tels Reg Parnell, Graham Hill, Carl Haas ou Gérard Larrousse.
L’association Lola Hill dure deux ans avec des résultats peu probants. Celle avec Haas connaît le même sort malgré des pilotes de très bonne facture comme Alan Jones et Patrick Tambay. Avec Larrousse, le succès n’est pas franchement au rendez-vous non plus et l’équipe va jusqu’à affronter l’épreuve des préqualifications de 1989 à 1990. Etant dans l’impossibilité de payer son ardoise, Larrousse doit se trouver un autre fournisseur à compter de 1992.
La dernière saison de Lola, en association avec la Scuderia Italia, remonte à 1993 avec la terrible T93/30 arborant une magnifique livrée Chesterfield. La voiture était tellement mauvaise que l’équipe sombre avant même la fin de la saison. Les années 1990 sont cruelles pour Lola. Le constructeur ne récolte que les miettes en Formule 3000 et en CART alors que Reynard enchaîne les succès. Il faut donc se relancer ailleurs.
RETOUR MOUVEMENTÉ
Fini les temps de fournisseur, Lola veut être une équipe de F1 à part entière. Entre 1994 et 1995, les Anglais tentent un come-back avec leur laboratoire-roulant : la T95/30. Toutefois, les changements intempestifs de réglementation entre 1993 et 1996 couplés à l’inexistence de soutiens financiers mettent à mal les plans de l’équipe.
Nous sommes désormais en 1996. Michael Schumacher en est à peine à sa première saison chez Ferrari. En début d’année, on annonce une nouvelle équipe. Non, ce n’est pas Lola mais Stewart Grand Prix. Fondée par le fils du triple champion du monde de F1, Stewart a le soutien inconditionnel de Ford ; les billets ne manquent donc pas. Alors que chez Lola c’est toujours pas ça… Après avoir repoussé maintes et maintes fois son retour en F1, l’annonce est enfin faite. Il se fera en 1998 avec un V10 fait maison et le soutien d’un puissant sponsor qui n’est autre que MasterCard.
Mais rien ne va aller comme prévu. MasterCard ne peut se permettre d’attendre aussi longtemps et presse inlassablement Broadley pour qu’il fasse entrer son équipe un an plus tôt. Ne pouvant se passer d’un tel soutien financier, Lola cède et anticipe son arrivée. Cependant il y a un hic. Un très gros.
RETARD SNCF-ESQUE
Décembre 1996. Deux mois déjà que la saison est finie. Tous, je dis bien tous, tournent avec leur nouveau modèle 1997. Ferrari le fait, McLaren le fait, Sauber le fait, même Stewart a déjà sa voiture de prête. Lola en est très loin. A vrai dire, l’équipe commence à peine à dessiner sa voiture ! Rien n’est prêt, pneus y compris : aucun contrat n’a encore été signé avec Goodyear ou Bridgestone…
Le premier Grand Prix de la saison a lieu dans trois mois à peine. Même si ce délai semble long, c’est quelque chose d’extrêmement court en Formule 1. C’est comme si l’on vous demandait de cuire du riz “prêt en deux minutes” en trente secondes. C’est faisable, certes, mais le résultat sera mauvais et donnera mal au ventre.
Trois mois, c’est également trop court pour construire un moteur digne de ce nom. Lola repousse l’introduction de son V10 à la mi-saison 97 et va demander, enfin, implorer Ford de leur fournir des moteurs. Ford accepte or les voilà équipés de moteurs V8… d’occasion… qui datent de deux ans ! A titre de comparaison, les “rivaux” Stewart bénéficient des tout derniers moteurs Ford V10. En somme, Lola a des moteurs qui rendent presque 100 chevaux à leurs concurrents… Un véritable gouffre.
Et leurs pilotes alors, sont-ils bon ? Bien sûr que non. Ils signent Vincenzo Sospiri, italien de profession et champion de Formule 3000 en 1995. Le jeune espoir de toute une nation va bientôt fêter ses… 31 ans. Il sera l’équipier de Ricardo Rosset do Brazil. Le talent du pauliste est plus complexe à cerner que chez son équipier. D’un côté il termine second de la F3000 en 1995 pour sa première saison, de l’autre c’est sa capacité à se mettre dehors qui lui a valu le titre de pire pilote F1 1996. Bénéficiant d’une grosse valise remplie de réaux brésiliens, c’est une recrue de choix pour Lola. Avec une paire Sospiri-Rosset, l’équipe a de quoi effrayer les cadors comme Ferrari ou Williams.
PRÉSENTATION
Fiiiiiiinalement le 27 février 1997, SEPT JOURS avant le coup d’envoi du championnat, Lola présente sa voiture ! Nom de code : T97/30. Les premiers tests ont lieu dans la précipitation… sur une ligne droite. C’en est déjà trop pour le moteur Ford qui casse après quelques minutes. Quelques jours plus tard, on revoit la Lola. L’équipe ne fait qu’une poignée de tours et constate un loup monstre dans la voiture. A ce stade-là, ce n’est plus un loup mais le renard à neuf queues en personne. Pour faire simple, la voiture est tellement mal conçue qu’elle produit trop de traînée en ligne droite pour aller vite ET elle ne génère pas assez d’appui pour tourner correctement ! Un véritable tour de force aérodynamique.
Impossible de prendre un virage, impossible d’aller vite, impossible de chauffer les pneus… En résumé, la T97/30 est la version automobile de “Je n’suis pas bien portant” de notre cher Gaston Ouvrard. Essayez chez vous, ça colle parfaitement.
J’ai l’moteur // Qui se meurt
J’ai la boîte // Qu’est pas droite
Les ailerons // Pas très bons
Mes pilotes // D’la cam’lote
107 POURCENT
La FIA, régissant sur la F1, ne manque jamais d’idées. En 1996, c’est la règle des 107% qui est introduite pour limiter le nombre de pilotes lents pendant les qualifications. Les pilotes tournant à 107% du meilleur temps sont automatiquement non admis pour la course. Pour l’instant, le record de lenteur sous cette règle est détenu par Andrea Montermini avec un temps à 110.5% du meilleur temps (= neuf secondes plus lent). Mais ça, c’était avant les Lola…
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Les équipes s’installent à Melbourne, en Australie, pour la première course. Avec seulement deux séances (calamiteuses) d’essais privés dans les jambes, Lola va se viander méchamment. Seul Broadley soutient mordicus que non mais personne n’est dupe. Le vendredi, Rosset et Sospiri sont relégués à dix et douze secondes du meilleur temps. Le weekend va être long. L’équipe est totalement perdue dans les réglages, ils sont 30km/h plus lent sur un seul tour ! Lors des qualifications, tous améliorent leurs temps sauf deux : ni Rosset ni Sospiri n’arrivent à tourner plus vite que lors des essais. Ils étaient tellement lents que leurs tours n’avaient pas de temps mais une date d’expiration (rires). A vrai dire, leurs temps auraient pu les mettre en bonne position (et encore…) en F3000 ! A l’époque, il y avait un écart d’une dizaine de secondes entre les deux catégories. Comme dirait La Fouine : “hassoul à vous de juger.”
A l’issue des qualifs, Vincenzo Sospiri est à onze secondes et demi de la pole position. Le plus dramatique est que Sospiri, le rookie, celui qui a à peine touché une F1 de sa vie, devance d’une seconde pleine son équipier Ricardo Rosset bien plus expérimenté ! Et les 107% alors ? Pour tout vous dire, ça s’est joué de peu. Sospiri a signé un temps à 112.9% et Rosset à 114.2% ! Record absolu de lenteur sur piste sèche (du temps des 107%).
TROIS P’TITS TOURS ET PUIS…
Broadley et Lola prennent une grosse claque. Eux qui voyaient dominer Stewart vont à peine plus vite que des Formule 3000 ! Une aberration pour MasterCard qui remet sérieusement en question son contrat de sponsoring. Après avoir gambergé le temps de quelques jours, la décision tombe.
MasterCard casse son contrat avant même le second Grand Prix de la saison ! Broadley et ses hommes font le déplacement au Brésil, théâtre de la deuxième course… et font aussitôt demi-tour. Lola déclare forfait pour les courses suivantes : sans fonds, impossible de continuer. L’équipe essaie de trouver de nouveaux capitaux mais comment les convaincre après leur terrible prestation à Melbourne ? Le mal a été fait, on ne verra plus jamais les voitures bariolées sur les circuits. Le fiasco est total puisque le jeu vidéo officiel de la saison 1997 n’offre pas la possibilité de piloter la T97/30… Monde de merde.
Comme dirait la pub : “Il y a certaines choses* qui ne s’achètent pas, pour le reste il y a Lola MasterCard.”
*la gloire, le talent, le respect, etc.
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