La Formule 1 est un sport cruel, c’est un fait avéré. On ne compte plus le nombre d’écuries issues des catégories inférieures s’y étant cassées les dents. Mais le pire dans cette affaire, c’est que personne ne se souvient de leur nom. En revanche, l’écurie Onyx mérite de rester dans les mémoires collectives grâce à sa ressemblance troublante avec une structure actuelle du plateau : Rich Energy Haas F1 Team.
Leur lien de parenté n’est pas en rapport avec des résultats brillants – je vous rappelle que Romain Grosjean pilote pour Haas – mais concerne plutôt le sponsoring. Je m’explique. Cette saison, la Haas est peinte aux couleurs de Rich Energy. Vous ne connaissez pas cette marque de boisson énergisante ? Ça tombe bien, nous non plus.
Le propriétaire, un dénommé William Storey, clame haut et fort que ses canettes se vendent comme des petits pains partout dans le monde. Or cela relève de la mission impossible pour acheter du Rich Energy en magasin. C’est à se demander si les canettes existent vraiment et comment Rich Energy a trouvé les fonds nécessaires pour apposer son nom sur les Haas !
Vous l’aurez compris, Onyx a connu une trajectoire similaire durant sa (relativement courte) histoire en catégorie reine. Mêmes résultats en dents de scie, même sponsor aux origines obscures dirigé par le même nabab à la capillarité douteuse… Vraiment, les signes ne trompent pas.
OH HISSE ONYX
Comme la plupart des success stories à l’Américaine, tout part d’un rêve. Ici, il s’agit de celui de Mike Earle et de son ami Greg Field. Ensemble, les deux Britanniques fondent Onyx Race Engineering et participent à la saison 1979 de Formule 2. Étant donné qu’ils n’ont pas d’argent, d’expérience et surtout de temps, les deux hommes se vautrent lamentablement. Quatre courses, quatre abandons.
Après cette première fois douloureuse, Onyx passe la seconde. La structure rêve de Formule 1 et pour le réaliser, le tandem Earle-Field persuade March d’aligner une troisième voiture en 1982. Elle est engagée par Onyx sous le nom de LBT Team March avec Emilio de Villota au volant. Malheureusement, l’aventure tourne une nouvelle fois à la catastrophe. En cinq apparitions, de Villota manque systématiquement la qualification. Pire encore, le poleman du Grand Prix de Monaco lui colle près de 30 secondes dans les dents ! Cela va sans dire, l’Espagnol se crame définitivement en Formule 1.
Mais ce ne sont pas ces échecs cuisants qui vont refroidir les ardeurs de l’équipe. De retour en Formule 2 puis en F3000, Onyx glane enfin quelques trophées grâce au talentueux Stefano Modena. Six ans après l’échec de 1982, Mike Earle sent que le vent a tourné. Désormais, Onyx n’a qu’un seul cap et il s’appelle Formule 1.
Pour réussir en F1, il faut des sous. C’est le nerf de la guerre après tout. Alors quand le nouveau pilote Bertrand Gachot évoque la possibilité d’un partenariat avec Moneytron, on prête une oreille attentive…
JEAN-PIERRE
Petit cours d’histoire. Sorti de prison, Jean-Pierre van Rossem jure qu’il n’y retournera plus (l’avenir nous prouvera le contraire). À la fois point fort et point faible du Belge, sa double spécialisation en économie et en escroquerie lui permet de gagner beaucoup d’argent au milieu des années 1980.
Quel est son secret ? Il s’appelle Moneytron, un logiciel révolutionnaire puisque, selon van Rossem, il est capable de prédire les fluctuations du marché financier avec une probabilité de 9 sur 12 ! On s’en doute bien, Moneytron est bidon. Van Rossem ne fait que rembourser ses plus vieux clients avec l’argent des nouveaux. Le pire dans tout ça, c’est que ça marche exceptionnellement bien ! En encaissant une commission de 5% à chaque nouveau client, la fortune du Belge va atteindre un pic de près de 400 millions de dollars.
Arrivé au stade de la richesse où l’on jette directement l’argent par les fenêtres, Van Rossem achète tout et n’importe quoi. Mais principalement des Ferrari et la spécialité du cartel de Medellín. Du coup, il est assez emballé lorsqu’Onyx lui propose de se payer un peu d’espace publicitaire sur leurs futures monoplaces de F1.
L’AVENTURE C’EST L’AVENTURE
L’argent de Moneytron atterrit dans les comptes d’Onyx début 1989. Et avec, Earle recrute et il recrute bien. Le Britannique s’acoquine avec Alan Jenkins, ancien bras droit de John Barnard chez McLaren, et lui propose le poste de directeur technique. Jenkins accepte volontiers et prend même son nouveau rôle très à cœur. En plus de concevoir la première Onyx de Formule 1, il dessine lui-même les poignées de porte des toilettes de l’usine !
Un véritable défi attend Onyx cette saison. 20 écuries et 39 pilotes sont inscrits au championnat du monde. Jamais la Formule 1 n’a été aussi attractive. Alors pour désengorger le plateau, la discipline met en place une séance préqualificative pour les petits nouveaux. Chaque week-end de course, neuf pilotes sont systématiquement renvoyés chez eux avant le début des premiers essais libres ! Je ne pense pas avoir vu pareille cruauté dans ma vie.
Mais Onyx n’a pas exactement eu le temps de faire rouler sa monoplace avant la première manche de la saison. Et ne parlons même pas du développement de cette voiture. En toute logique, les pilotes Bertrand Gachot et Stefan Johansson se retrouvent non préqualifiés un paquet de fois.
PEU DE CHANCE, BEAUCOUP DE MALCHANCE
Malgré une continuité dans la médiocrité du côté d’Onyx, van Rossem reconsidère à la hausse son engagement en F1. Ainsi, il devient l’actionnaire majoritaire d’Onyx au bout de quelques courses.
Dans le paddock, la dégaine du Belge détonne et surprend. Cheveux longs et gras, barbe bien trop fournie, paire d’Aviator aux verres jaunâtres sur le nez et chemise ouverte avec la chaîne en or qui brille : van Rossem a plutôt l’air d’un gourou caricaturé que d’un respectable propriétaire d’une écurie de F1…
Chez les pilotes, Gachot galère à se qualifier tandis que Johansson goûte amèrement aux premières courses. Le Suédois abandonne au Mexique avant d’être disqualifié au Canada. Puis il brille brièvement à Phoenix : septième à la mi-course, le pilote Onyx crève un pneu, quitte les stands à la douzième position, gagne cinq places… et abandonne sur bris de suspension.
Quand ça veut pas, ça veut pas.
Bon, fort heureusement, le succès finit par arriver. Sur le circuit Paul Ricard, Gachot se sort des préqualifications pour la première fois de la saison et devance même son chef de file sur la grille ! En course, un problème de batterie paralyse le Belge mais Johansson fonce vers la cinquième place. Onyx inscrit ses premiers points, au nombre astronomique de deux, en Formule 1. Deux unités capitales puisqu’elles permettent à l’écurie d’occuper la treizième place du classement général et d’éviter la préqualification à l’avenir.
PRÉQUALIFS & PIPELETTE
Deuxième cours d’histoire de la journée. À l’époque, les participants aux séances préqualificatives changeaient à la mi-saison, les écuries figurant au-delà de la treizième place du championnat étaient condamnées de facto.
Malheureusement pour Onyx, rien ne va se passer comme prévu. Lors de l’ultime course précédent le changement, à Silverstone, Minardi marque aussi ses premiers points de la saison. Pierluigi Martini et Luis Perez-Sala terminent inexplicablement P5 et P6, garantissant à la Scuderia trois points au classement général. Sur le fil, Onyx se fait doubler et devra encore assister aux préqualifications jusqu’à la fin de la saison 89 !
Entre temps, Earle et van Rossem font un crochet par Stuttgart. Les deux hommes ont rendez-vous avec Porsche qui souhaite se réengager en Formule 1 comme motoriste. Malgré une chemise tâchée par un redoutable sandwich œuf-mayonnaise, van Rossem repart avec des moteurs V12 à une seule condition : l’information doit rester confidentielle.
Le lendemain, Earle reçoit un coup de téléphone surprise de Pierre van Vliet, manager de Gachot.
— Bravo pour le contrat avec Porsche ! lance-t-il.
— Comment es-tu au courant ? interrogea Earle.
— Van Rossem en parlait hier à la télévision…
HISTOIRE BELGE
C’était à prévoir, le deal capote car van Rossem ne sait pas tenir sa langue. On aurait pu penser que la trêve estivale allait calmer l’animal. C’est mal le connaître puisque le boss de Moneytron met le feu à l’une de ses propres Porsche suite à l’annonce de la rupture du contrat ! À la fin du mois d’août, on assiste à un festival van Rossem. Le Belge est à la maison, à Spa-Francorchamps, et convoque la presse pour régler ses comptes avec deux de ses meilleurs amis : Jean-Marie Balestre et Bernie Ecclestone.
En somme, il traite l’un d’ancien sympathisant nazi et l’autre de mafieux. Je vous laisse deviner qui est qui…
Le bad buzz avant l’heure que créé sciemment van Rossem n’est pas du goût de tous. Après cette parodie de conférence de presse, Ecclestone le convoque immédiatement dans son bureau et le bannit des paddocks de F1. Earle et Field se prennent la tête à deux mains en se demandant pourquoi diable ont-ils laissé les clés de leur bébé à ce zèbre…
En guise de “vengeance”, ils se servent d’une gaffe de Gachot, protégé de van Rossem, pour le virer en cours de saison. En privé, le pilote belge se plaint du manque de temps passé en piste et du traitement de faveur que reçoit Johansson. Des déclarations qui atterrissent malencontreusement dans un communiqué officiel. Gachot a beau expliquer que ses paroles (largement exagérées) n’étaient pas censées être rendues publiques, Onyx fait la sourde oreille.
RÉSULTAT ESTORIQUE
Arrive le Grand Prix du Portugal où Gachot est remplacé par le débutant JJ Lehto. Sur le tracé d’Estoril, les stratèges de l’écurie préparent un coup de génie. La monoplace de Johansson ne s’arrêtera pas au stand pour changer ses gommes, ce qui est pourtant la stratégie préférentielle. Les mécaniciens montent les gommes les plus dures à disposition, remplissent le réservoir à ras bord et prient pour que ça tienne.
Un pari suicidaire, certes, mais un pari payant ! Après dix tours, Johansson est huitième. Le Suédois gagne encore quelques positions jusqu’au moment où Nigel Mansell effectue son arrêt-catastrophe, suivi d’une dépression nerveuse. Johansson se retrouve troisième mais les derniers tours sont douloureux. Ses pneus sont tellement usés que la jante est directement en contact avec le tarmac. Et au niveau du réservoir, ce n’est pas mieux. À peine franchit-il la ligne d’arrivée que l’Onyx est à sec.
Armé d’une monoplace roulant à trois secondes des meilleurs temps, Stefan Johansson arrache le podium ! C’est l’un des plus beaux exploits de la Formule 1, on exulte dans le garage Onyx. Dix ans après sa fondation, l’écurie britannique vient de prouver à la face du monde qu’elle est en mesure de rivaliser avec les Goliath de ce sport.
CRÉDIT SUISSE
Malgré ce résultat inattendu et inespéré, c’est déjà le chant du cygne pour Onyx. C’était à prévoir, ça commence à chauffer pour van Rossem. Sur la liste noire de la F1, le Belge enlève ses billes à la fin de la saison avant de déclarer la faillite de Moneytron quelques mois plus tard. Devenu homme politique pour jouir de l’immunité parlementaire, van Rossem se fait remarquer de nouveau en 1993. Alors que le Roi Albert II est en train de prêter serment, il se met à hurler “Vive la République d’Europe ! Vive Julien Lahaut !”
Mais revenons à nos Onyx. Sur la paille, l’écurie est contrainte d’ouvrir ses portes à un autre zouave, répondant au nom de Peter Monteverdi. Sur conseil de Karl Foitek, associé et co-actionnaire, ce concessionnaire suisse rachète l’équipe et engage le pilote Gregor Foitek, fils de Karl.
Un crésus qui rachète une écurie de F1 pour y placer son fils pilote… Lawrence Stroll appréciera, j’en suis certain.
CIRQUE
Monteverdi n’y connaît rien à la Formule 1. Et encore, c’est un bel euphémisme. Dès son arrivée chez Onyx, il renvoie coup sur coup les deux meilleurs éléments, Stefan Johansson et Alan Jenkins. Le Suédois est remplacé par le petit Foitek tandis que Monterverdi en personne brigue le poste de directeur technique ! La cohue de l’hiver n’aide pas l’équipe à progresser. Arrive la campagne 1990 et l’équipe n’a pas de nouvelle voiture.
Le podium d’Estoril permet à Onyx d’éviter les préqualifications. Mais au lieu d’être éliminés lors des préqualifs du vendredi, Lehto et Foitek le sont le lendemain, lors de la séance qualificative. De nets progrès, donc.
Alors que sa maison brûle, Monteverdi regarde ailleurs. Le Suisse renomme Onyx en Monteverdi, rien que ça, et ordonne le déménagement de l’usine britannique en Suisse. Côté technique, il demande aux mécaniciens de souder les pièces cassées au lieu de les remplacer ! Pour repousser les limites du raisonnable, Monteverdi pioche dans son parc automobile personnel pour changer les éléments irréparables sur les Onyx !
On a beau dire que le ridicule ne tue pas mais quand même… Un jour, Lehto vient se plaindre pour la énième fois du comportement aléatoire de sa monoplace. Après inspection au peigne fin, les mécaniciens constatent que le différentiel, installé depuis plusieurs courses, a été monté à l’envers !
RIDEAU
Et en Hongrie, c’est le drame. Une suspension cassée, soudée, recassée juste après puis réparée au gros scotch se brise contre toute attente. Par malheur, l’incident se produit quand Foitek est en piste. Propulsé à vitesse petit v contre le mur de pneus, c’est le crash de trop pour Gregor. Le soir même, les Foitek prennent leurs francs suisses et s’en vont, laissant Monteverdi dans l’incapacité d’éponger les dettes.
C’est ainsi que se termine l’aventure Onyx. Malgré des débuts prometteurs et des dirigeants qui n’en veulent, l’écurie aura connu le même sort que ses nombreux adversaires sous-financés de l’époque. L’étoile filante van Rossem, considérée comme un cadeau du ciel à l’époque, s’est révélée comme étant un astéroïde menaçant la survie de l’espèce humaine.
Onyx avait de quoi très bien faire en catégorie reine. Pouvaient-ils concurrencer les McLaren et les Ferrari à la régulière ? Non. Mais bon, entre nous, ils étaient en mesure de viser la septième place du classement général. Une position que Haas accepterait volontiers cette saison.
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