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ET LA F1 ENTRA EN GUERRE CONTRE ELLE-MÊME

En Formule 1, tout est beau, tout est joli. Parfois, il arrive que vingt pilotes se battent comme des chiffonniers en piste pendant deux heures un dimanche sur deux. Or tout est bien vite pardonné lorsque ces gladiateurs trempés de sueur s’extraient de leur bolide de course. Qu’entends-je ? Qui a osé évoquer le conflit FISA – FOCA ?!

Déjà plus de 1000 Grands Prix pour un championnat du monde de Formule 1 né en 1950… Ça n’nous rajeunit pô ma bonne dame. Mais avant d’atteindre la sagesse – ou la sénilité – d’une personne de 70 ans, la Formule 1 est passée par toutes les autres étapes ingrates de la vie : des premières dents aux premières déclarations de revenus, en passant par la puberté et la terrible crise d’adolescence qui l’accompagne.

Et le terme crise mérite d’être employé car elle fut à deux doigts de tout foutre en l’air ! Cette période de trouble fait son apparition au beau milieu des années 1970. Le championnat se professionnalise et les sponsors pullulent sur les voitures, à la manière du comédon. Les seventies voient aussi l’avènement de la retransmission télévisée des Grands Prix de Formule 1. La discipline est désormais un business à part entière et ça, un jeune patron d’équipe le voit très bien.

LA RÉVOLTE GRONDE

Vous connaissez Bernie Ecclestone ? Ce monsieur qui ne semble pas avoir d’âge dirige à cette époque l’écurie Brabham. Plus que l’amour du sport, ce qui intéresse “Mr. E” avant tout, ce sont les belles sommes qui découlent du sponsoring et des nouveaux droits TV. Ça tombe bien, il y a de l’argent à se faire !

Depuis sa fondation, la Formula One Constructors’ Association (FOCA) ne peut pas empêcher les organisateurs de Grands Prix de racketter les écuries au moment de reverser les primes. Le pire, c’est que la Commission Sportive Internationale (CSI), branche sportive de la FIA, ferme les yeux sur ce crime. Il fallait que ça change…

Nous sommes en 1974 et Bernie entre dans la danse en prenant les rênes de l’organisation.

La FOCA en 1974
La FOCA en 1974. Derrière, de gauche à droite : Jimmy Dilamarter (Parnelli), Heinz Hofer (Penske), Anthony Horsley (Hesketh), Ken Tyrrell (Tyrrell), Colin Chapman (Lotus), Frank Williams (Iso-Marlboro), Luca di Montezemolo (Ferrari), Bernie Ecclestone (Brabham), Graham Hill (Hill), Alan Rees (Shadow), Teddy Mayer (McLaren), Velko Miletich (Parnelli). Devant, de gauche à droite : Ray Brimble (Hill), Max Mosley (March), Peter McIntosh (secrétaire de la FOCA).

Le génie d’Ecclestone réside en sa manière unique de négocier. Les organisateurs ne veulent pas donner plus ?

“On boycotte la course.”

Ils ne veulent pas autoriser plus de voitures sur la grille de départ ?

“On boycotte la course.”

La CSI veut changer les règles pour réduire l’influence grandissante de la FOCA ?

“On boycotte la course.”

Et c’est bien ce dernier point qui va poser problème par la suite. Organisme représentant les écuries (britanniques, certes, mais faut-il rappeler qu’elles sont majoritaires), la FOCA commence à interférer sur un règlement où elle n’est censée avoir aucun droit de regard !

Tôt ou tard, ça allait péter.

LA FISA CONTRE ATTAQUE

En six ans, Ecclestone se construit un petit empire. Les coûts des primes reversées par les organisateurs explosent et parfois, c’est la FOCA elle-même qui se charge d’organiser les Grands Prix ! La FIA perd le contrôle sur son sport et décide (enfin) d’agir. La CSI organise de nouvelles élections en 1978. Et le président de la Fédération Française du Sport Automobile brigue le mandat de généralissime.

Jean-Marie Balestre, un homme très chaleureux, est élu à la tête d’une organisation vieillissante. Il souhaite en redorer le blason. D’ailleurs, il en profite pour faire quelques changements : la CSI devient la FISA, soit Fédération Internationale du Sport Automobile. On ne va pas se mentir, l’objectif de la nouvelle FISA est d’arracher les privilèges obtenus par la FOCA et de négocier directement avec les organisateurs de Grands Prix.

LÉGALISTES ET GARAGISTES

L’élection de Jean-Marie Balestre met le feu aux poudres. Petit à petit, deux clans se forment en Formule 1. D’un côté, nous avons les “garagistes” de Grande-Bretagne dont les principaux représentants sont :

  • Brabham
  • Williams
  • McLaren
  • Lotus
  • Tyrrell

Les garagisti, surnom affectueux donné par Enzo Ferrari en personne, se contentent de construire un châssis pour y accoler un moteur V8 Ford Cosworth. Une philosophie à l’opposé de celle des grands constructeurs que nous trouvons de l’autre côté du ring, aussi connus sous le nom de “légalistes” :

  • Ferrari
  • Renault
  • Alfa Romeo

Ceux-ci soutiennent naturellement la FISA car Balestre propose des mesures allant en leur sens. Nous l’allons montrer tout à l’heure.

HISTOIRE DE JUPES

La première mesure-phare de Balestre intervient en 1979. Le président de la FISA a encore en travers de la gorge le recul de feue-la CSI face à la FOCA lorsqu’elle a tenté d’interdire les jupes en Formule 1. Le Français remet ça sur le tapis en annonçant l’interdiction des fameuses jupes coulissantes ainsi que la mise en place d’un tas de réformes sécuritaires pour la saison 1981. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça fait grincer des dents.

Au fait, les jupes, késako ?

Dans son éternelle lutte contre le manque d’adhérence quand on roule très, très vite, l’ingénieur Colin Chapman de l’écurie Lotus en vient à utiliser l’effet de sol dans les années 70. Sur les côtés d’une monoplace, l’intérieur des pontons prend la forme d’une aile inversée. La partie est scellée par une “jupe” : un élément en céramique coulissant de haut en bas selon les ondulations du circuit. Pour faire simple, lorsqu’une voiture de Formule 1 commence à rouler vite, de la magie noire crée de l’appui aérodynamique.

Grâce aux jupes, la voiture est plaquée contre le sol et peut prendre un virage jusqu’à 40 km/h plus vite qu’auparavant ! C’est une vraie révolution, bien qu’extrêmement dangereuse puisque les monoplaces n’arrivent pas à suivre face à un tel gain de puissance. Ainsi, le châssis des Lotus se tordait sous la force de l’effet de sol !

TURBOCOMPRESSEUR

Ecclestone ne se laisse pas impressionner et la FOCA tente un coup de poker. Fin 1979, l’organisation fait pression pour interdire les moteurs turbocompressés !

Turbo-quoi ?

On reprend. Dans leur éternelle lutte contre les petits anglois champions du monde avec un budget de trois francs six sous, les grands constructeurs, Renault en tête, dépensent des millions pour acquérir l’arme suprême : le moteur turbo. Une unité de puissance suralimentée est plus petite, plus compacte, plus puissante (en théorie). Mais c’est une technologie très pointue donc très chère à développer.

Il y a conflit d’intérêt entre FISA et FOCA. Balestre se soucie – si on veut – de la sécurité mais cela voudrait dire un chambardement technique majeur et une explosion des coûts en F1. Les équipes FOCA commencent à peine à s’enrichir. Déjà qu’elles refusent de se pencher sur la technologie coûteuse du turbo, alors imaginez le fait de repenser complètement une voiture de Formule 1…

CONFLIT OUVERT

Balestre reste campé sur ses positions. Le Français impose “son” nouveau règlement Technique sans consulter les écuries. Le vase finit par déborder en 1980. Balestre oblige les pilotes à assister à un briefing avant toutes les courses. Les pilotes FOCA boycottent naturellement. En réponse, la FISA appuie là où ça fait mal s’attaque au portefeuille.

Jean-Marie Pervenche aligne les PV pour tous les déserteurs. Mais ces amendes sont systématiquement réglées par les patrons d’équipe ! Balestre menace alors les pilotes incriminés d’exclusion s’ils ne payent pas eux-mêmes. La FOCA pense qu’il bluffe. À tort, puisque le Français compte 5, 4, 3, 2, 1 et à 0, paf ! Il retire la licence de pilote à tout le monde.

Suite à cette nouvelle, les essais libres du Grand Prix d’Espagne sont annulés. Pour passer le temps, des mécaniciens Williams et Brabham jouent au foot dans la ligne droite de départ/arrivée. Le lendemain, la FISA et les écuries légalistes plient bagage. Ecclestone a le circuit de Jarama pour lui tout seul !

Bon, par contre la FISA déclare immédiatement la course hors-championnat, suscitant l’ire de la FOCA. La prochaine course ayant lieu en France, sur les terres de Balestre, Ecclestone songe au boycott. Puis après, la F1 se rendra à Silverstone, fief de la FOCA. Et cette fois-ci, c’est la FISA qui pourrait ne pas faire le déplacement !

C’en est trop pour Goodyear qui fournit des pneumatiques pour la grande majorité du plateau. Le manufacturier décide d’arrêter les frais à la fin de la saison ! Absolument consterné par cette guéguerre entre FISA et FOCA, le géant américain ne veut plus entendre parler de Formule 1…

PIRATES !

Mais lors de la course suivante, au Castellet, Balestre et Ecclestone mettent leurs différents de côté afin de sauver le championnat 1980. Mais la paix n’est que de courte durée, je pense que vous l’avez déjà compris. Le 31 octobre, trois semaines après la clôture du championnat à Watkins Glen, la FOCA annonce en grandes pompes la création d’un championnat pirate ! Onze équipes sont d’ores et déjà inscrites, dont Lotus, McLaren, Brabham et le champion du monde en titre Williams !

Nous sommes à deux doigts d’assister en direct à la mort de la Formule 1.

Équipes FISA comme FOCA reçoivent une pluie de menaces venant de leurs commanditaires… et Jean-Marie Balestre considère un temps mettre la Formule 1 en pause ! Ça n’effraie pas Ecclestone pour autant, le Britannique va même au bout de sa démarche. À Kyalami, en février 1981, la FOCA organise la première course de son propre championnat. Le Britannique se repose uniquement sur les retombées médiatiques d’un tel événement automobile. Mais c’est un échec commercial total !

ACCORDS CONCORDE

Aussi incroyable que cela puisse paraître, Marlboro sauve la discipline en forçant FISA et FOCA à négocier. Les deux signent l’armistice place de la Concorde le 11 mars 1981, quatre jours avant le premier Grand Prix de la saison ! Ces “Accords Concorde” marquent la naissance du championnat du monde de Formule 1 tel que nous le connaissons aujourd’hui. Les pouvoirs sont partagés. La FISA a la mainmise sur les règlements Sportif et Technique, la FOCA s’occupe de l’exploitation commerciale du sport.

Balestre remporte une première victoire. Les jupes coulissantes sont bannies – remplacées par des jupes fixes -, les voitures gagnent 10 kilogrammes et la garde au sol est fixée à 60 millimètres minimum afin de réduire considérablement l’effet de sol. Mais nous ne sommes pas en F1 pour rien, les écuries ont plus d’un tour dans leur sac et exploitent à fond ce nouveau règlement et les failles qui l’accompagnent.

Par exemple, Tyrrell remplace juste avant la pesée son aileron arrière en fibre de verre par un aileron… en plomb, qui doit être soulevé par quatre gaillards ! De son côté, Brabham construit la BT49C, monoplace équipée de suspensions hydropneumatiques. À son bord, Nelson Piquet contrôle manuellement la hauteur de caisse pour être au ras du sol en piste et au-dessus de 60 millimètres au moment des contrôles !

Bien vite, toutes les autres écuries adoptent des systèmes similaires, bien que la solution de Brabham soit la plus perfectionnée. Au courant de ces pratiques illégales, la FISA ferme les yeux. Balestre est spectateur de ce triste spectacle. Lorsqu’il oblige les écuries à utiliser une jupe “confectionnée dans un matériau uniforme et solide”, les écuries le prennent au pied de la lettre et se pointent avec des jupes… en caoutchouc ! Et oui, le caoutchouc est un matériau solide, et non liquide ou gazeux…

À la surprise générale, Piquet remporte le championnat 1981.

Lotus 88B (1981). Même si Lotus est une écurie FOCA, l'organisation ne veut pas voir cette voiture en piste !
1981 : Encore plus ingénieux que les suspensions hydropneumatiques de Brabham, le double châssis de Lotus !

AFFAIRE DE RÉSERVOIR

Comme dirait l’autre, si vous ne pouvez pas les vaincre, joignez-vous à eux. En 1982, la FISA applique ce dicton à la lettre. Elle bannit les suspensions hydropneumatiques ainsi que les contrôles de garde au sol. Les écuries peuvent désormais racler le bitume en toute illégalité sans être inquiétées par la suite ! Même un pilote au gros cœur comme Gilles Villeneuve est peu confiant au volant de ces monoplaces plus imprévisibles que jamais :

« Les F1 sont soudées à la piste, j’ai l’impression d’être comme le chauffeur d’une locomotive attachée à des rails. Les moteurs sont très puissants. Nous entrons dans les virages à des vitesses incroyables. Les risques sont devenus énormes. »

Les moteurs turbo des légalistes sont de plus en plus perfectionnés et les garagistes de plus en plus désespérés. La roublarde Williams profite d’une énième faille du règlement de la FISA. Il est stipulé noir sur blanc qu’une monoplace doit être remplie de ses liquides (lubrifiants, liquide de refroidissement, etc.) lors de la pesée. Toutefois, rien n’indique à quel moment la voiture doit être remplie desdits liquides… Ainsi, la Williams FW07C court sous le poids minimum grâce à un énorme réservoir d’eau – servant, je cite, “à refroidir les freins” (!) – rempli juste avant la pesée pour atteindre les 580 kilogrammes réglementaires !

Mais à Kyalami, premier round de la saison 1982, toutes les têtes se tournent vers Balestre et Ecclestone. Les deux hommes ont pactisé en secret pendant l’hiver pour mettre au point la fameuse superlicence qui ne ravit vraiment personne. Les pilotes manifestent leur mécontentement en prenant le maquis !

ENTRE DISQUALIFICATIONS ET BOYCOTT

Après cet épisode peu banal, FISA comme FOCA se rendent coup pour coup. Au Brésil, après réclamation des écuries FISA, le vainqueur Nelson Piquet et son dauphin Keke Rosberg se voient disqualifiés à cause de leurs réservoirs. À Long Beach, Ferrari fait un pied de nez aux garagistes et leur montre à quel point une écurie peut être malhonnête. L’aileron arrière a une longueur maximale, OK. Mais qu’en est-il du nombre d’ailerons ? La Scuderia monte donc deux ailerons avant… à l’arrière. Les deux sont mis bout à bout pour former un seul et unique “super aileron” ! Sans surprise, la FOCA porte plainte et Villeneuve perd sa troisième place sur tapis vert.

 

Excédées, l’ensemble des équipes FOCA décident de boycotter la course suivante, à Imola. Seule Tyrrell, par obligation contractuelle avec ses nouveaux sponsors italiens, aligne ses pilotes pour le Grand Prix de Saint-Marin. Toutefois, le directeur Ken Tyrrell fait honneur à son organisation en portant un tas de réclamations contre les légalistes, toutes plus farfelues les unes que les autres. Par exemple, l’Oncle Ken s’appuie sur une obscure ligne du règlement interdisant les moteurs à turbine. Selon sa logique, les moteurs turbocompressés sont donc illégaux !

SUITE F1

Imola 1982 restera le paroxysme de la guerre FISA-FOCA. Bernie Ecclestone, portant la double casquette président de la FOCA et promoteur de la Formule 1, ne peut plus se permettre de saboter les Grands Prix en faisant appel au boycott. Comment faire de l’argent sinon ? Les équipes FOCA comprennent qu’elles défendent une cause perdue. Peu à peu, les patrons d’équipe passent en douce des accords avec différents motoristes experts en turbocompression : Brabham signe avec BMW, Lotus avec Renault, Williams avec Honda, McLaren avec Porsche.

En 1983, Balestre finit par avoir le dernier mot. Il lui aura fallu cinq ans mais ça y est, les jupes sont définitivement bannies de la Formule 1. Mais en coulisse, c’est bien la FOCA qui est la grande gagnante. Sur le plan sportif, les écuries britanniques raflent tous les titres en jeu de 1984 à 1998. Et sur le plan commercial, les coûts comme les primes continuent d’exploser. La FOCA met la clé sous la porte en 1987 avec la signature de nouveaux Accords Concorde. Désormais, les histoires de gros sous seront gérées par la FOM, un nouvel organisme fondé par… Bernie Ecclestone, of course.


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