Les Andrea de la F1 sont des cas à part. Qu’ils soient pilotes ou chefs d’équipe, ils se caractérisent par un manque évident de talent. Aujourd’hui, intéressons-nous de plus près à l’équipe nommée Andrea. Certains la surnomment l’équipe la plus ridicule de l’histoire de la F1, pour ma part je préfère l’appeler la plus grande équipe de ce sport.
UN BRIN D’HISTOIRE
Pour bien nous resituer dans l’histoire, voyageons dans le temps. De 1987 à 1991, une équipe italienne arpenta les fonds de grille (et les bacs à gravier) : Coloni. Fort de son insuccès, et surtout à court de liquidités, le patron – Enzo (comme quoi) – jette l’éponge après cinq horribles années sans avoir inscrit le moindre point.
Qu’advient-il de son équipe donc ? Et bien c’est un jeune chef d’entreprise italien qui va se présenter à la porte d’Enzo Coloni dans l’optique de faire continuer à vivre l’équipe…
RACHAT
L’affaire familiale reste donc dans son pays d’origine, mais son nouveau propriétaire est plutôt surprenant. Voici Andrea Sassetti, créateur de mode spécialisé dans le cuir-latex. Imaginez Sonia Rykiel racheter Ligier, je sais c’est terrible, et bien c’est ce que les fans de F1 ont vécu avec Coloni.
Mais qui est Andrea Sassetti ? Les fins observateurs ne savent pas trop d’où vient l’homme. Certains disent que sa fortune vient de son père, magnat de la chaussure (enfin ça c’est le créateur de mode himself qui le dit), d’autres disent qu’il a fait fortune au poker et qu’il rend quelques services à la mafia… Finalement Andrea Sassetti avouera l’origine de sa fortune, mais bien plus tard. Sa famille était plutôt modeste et fit fortune en grattant un Morpion.
Sa maison s’appelle Andrea Moda. Si vous me permettez de décortiquer ce nom, et bien Andrea est le prénom de son créateur et Moda signifie Mode en italien. Voilà qui est tout de suite plus clair.
FAUX DÉPART
Coloni était réputée pour être sans-le-sou. Sassetti décida de respecter la tradition en continuant dans cette voie. La nouvelle et fraîche équipe Andrea Moda devra donc composer avec des châssis vieux d’un an, qui n’étaient déjà pas fameux l’année passée. Sassetti privilégie une motorisation Judd V10 plutôt que les très en vogue V8 Ford Cosworth, un point de détail certes, sachant que quel que soit le moteur, l’équipe allait quand même finir dans les derniers.
Arrive le premier Grand Prix de la saison, celui d’Afrique du Sud, disputé à Kyalami. Tandis que les observateurs restent bouche-bée devant la Williams FW14B et ses suspensions actives, Andrea Moda débarque dans la discrétion la plus totale avec comme pilotes les italiens Alex Caffi (ex-Footwork, Dallara) et Enrico Bertaggia (ex-Coloni). Et ça s’arrête là. Comme dans un doux cauchemar, les voitures sont recalées lors de l’inspection technique ! Impensable. Et pourtant… En effet, Andrea Sassetti, lors de l’inscription de l’équipe au Championnat, a indiqué que l’équipe était nouvelle. De ce fait, il leur est difficile d’utiliser des châssis d’autres équipes, même anciennes, puisque cela est interdit. Ça pourrait s’arrêter là, mais de plus Sassetti n’a pas payé la caution d’entrée de 100 000 dollars ! Un tel niveau d’amateurisme dans l’organisation peut faire rire comme il peut nous horrifier.
Caffi et Bertaggia sont logiquement exclus du GP.
PASSAGE AU GARAGE
Andrea Moda doit donc concevoir ses propres châssis. Sassetti fait appel à un bureau d’étude anglais, Simtec, dirigé par un certain Nick Wirth. Si ces noms vous disent quelque chose, c’est parce que Simtec n’est d’autre que Simtek, célèbre équipe de fond de grille des années 1990. Autant vous dire que la future Andrea Moda sera taillée dans le plus beau des contreplaqués.
Les craintes se confirment très rapidement puisque Simtec ressort un projet pour BMW déjà vieux de deux ans pour concevoir ce qui sera la Andrea Moda S921. S pour Simtec, 92 pour l’année et, bien évidemment, 1 pour Formule 1.
ANDREA MODA S921
On pourrait confondre la S921 avec la M192 de Minardi, autre équipe italienne de fond de grille, car les deux partagent la même robe noire. Pourtant Sassetti sait y faire pour que les observateurs puissent faire le distinguo : il y a plus de sponsors, la voiture est plus noire, les résultats sont plus mauvais, et surtout le propriétaire est plus… « italien », si vous voyez ce que je veux dire.
Pour les fanas de chiffres et de mécanique, je vous laisse admirer les caractéristiques techniques de cette superbe S921.
- Moteur : Judd GV10 V10
- Puissance : 680 chevaux à 13 500 t/min.
- Poids (moteur) : 130 kilos
- Cylindrée : 3 497.6 cm³
- Pneus : Goodyear
- Carburant / Huile : Agip
- Boîte de vitesse : XTrac 6 rapports
- Poids à vide : 505 kilos
- Empattement : 2850 mm
- Voie avant : 1810 mm
- Voie arrière : 1670 mm
A titre de comparaison, voici les caractéristiques techniques de la voiture sacrée championne 1992 : la Williams FW14B.
- Moteur : Renault RS3C puis RS4 V10
- Puissance : 780 chevaux à 14 300 t/min.
- Poids (moteur) : 135 kilos
- Cylindrée : 3 493 cm³
- Pneus : Goodyear
- Carburant / Huile : Elf
- Boîte de vitesse : Williams semi-automatique
- Poids à vide : 505 kilos
- Empattement : 2817 mm
- Voie avant : 1739 mm
- Voie arrière : 1617 mm
Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
DÉBUTS TRÈS PEU PROMETTEURS
Lors du GP suivant, au Mexique, Sassetti doit se servir de sa ruse pour passer entre les mailles du filet. Je m’explique. Simtec n’a toujours pas fini son monstre, et pour éviter de payer encore pour cause de non participation, Sassetti embarque quelques éléments de carrosserie et deux moteurs pour la course. De ce fait, l’équipe est bien présente mais n’a pas de quoi rouler ! Livides, Caffi et Bertaggia désertent immédiatement l’équipe. Voilà désormais Andrea Moda : pas de voitures et pas de pilotes ! Le paddock est hilare, les fans aussi.
Ce n’est qu’au troisième round qu’Andrea Moda parvient à aligner une voiture conforme ! Par contre il n’y a vraiment qu’une seule voiture de conforme… Pour pallier à la fuite de « cerveaux », Sassetti embauche Roberto Moreno, qui erre comme une âme sans peine pour trouver un volant. Le petit brésilien stoppe son week-end le vendredi, après deux tours de piste. Mais ce n’est pas le plus malheureux. Il est accompagné de l’illustre inconnu Perry McCarthy, qui n’a pas de superlicence, puis si, puis non. L’anglais arrive à Interlagos sans superlicence, il ne peut donc pas piloter ! Le directeur de course, Roland Bruynseraede (bon courage pour prononcer ça), lui en octroie une le matin mais la FIA publie un communiqué dans la journée qui refuse l’attribution de ladite superlicence et c’est le même Roland qui la récupère des mains de McCarthy l’après-midi ! De toute façon il n’a même pas de quoi piloter, alors…
VENDETTA
Et c’est à partir de ce moment que les choses vont se gâter chez Andrea Moda. Je tiens à vous préciser d’avance que tout ce qui est écrit ici est totalement vrai.
En trois courses, Andrea Moda a changé son duo pilote une fois, soit la limite autorisée. Mais, car tout n’est jamais aussi simple, Enrico Bertaggia revient à la charge au Brésil lorsqu’il voit que l’équipe a enfin une voiture qui roule (enfin presque). Il offre un million de dollars (américains, il ne se fout pas de notre gueule) à Sassetti s’il le reprend. Sauf que trop tard, le mal est fait et c’est McCarthy qui occupe la place de chauffeur de banc. Dès lors, Sassetti, frustré comme pas possible, va absolument tout faire pour forcer McCarthy à quitter l’équipe de lui-même ! Et cela va se traduire par une absence totale de voiture disponible pour le pauvre anglais.
Au bout de trois courses, on peut résumer Andrea Moda comme ceci : une équipe qui se saborde pour une poignée de dollars (excellent film de Sergio Leone d’ailleurs).
CONTE DE FÉE…
Les courses s’enchaînent et se ressemblent pour l’équipe. En Espagne, Moreno et McCarthy tombent en panne, rebelote lors de la course suivante. Le ton est donc donné pour le GP suivant, à Monaco. Mais cette fois-ci, Moreno est comme transcendé. Comme possédé par l’esprit du regretté Andrea de Cesaris, il se paie le luxe de se dépatouiller des pré-qualifications ! Une première pour Andrea Moda, mais le brave Roberto ne s’arrête pas là. Il profite d’une casse moteur d’Ukyo Katayama le samedi pour passer sans trembler l’exercice des qualifications en signant le 26e et dernier chrono ! Il élimine de ce fait des grands noms de la F1 comme Andrea Chiesa, Paul Belmondo ou Damon Hill.
Est-ce que Andrea Moda pourrait prétendre à scorer le jour de la course ?
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…QUI VIRE AU CAUCHEMAR
Bien sûr que non malheureux ! Souffrant d’une voiture qui prie sans cesse qu’on l’achève, cette dernière renoncera d’elle-même au 11e tour de course. Les médecins furent formels : AVC du moteur Judd suite à un kilométrage trop important (11 tours donc), assez courant à l’époque.
Sassetti aurait pu toutefois se montrer souriant, une Andrea Moda qualifiée pour la course ça arrive aussi souvent que le passage de la comète de Halley. Mais l’homme a failli y laisser sa peau ! En effet, peu après la course, on brûle la discothèque dont il est le propriétaire (oui, il a plusieurs cordes à son arc), et on a même tenté de l’assassiner en lui tirant dessus… Je vous jure que c’est véridique.
Cet épisode sponsorisé par la Cosa Nostra nous fait justement penser que Sassetti aurait eu des liens plus ou moins étroits avec la mafia italienne. Un chef d’équipe exemplaire donc.
LA CHÈVRE 2.0
Tout est à refaire pour Andrea Moda après la course monégasque. Mais l’été 92 va être très compliqué pour l’équipe, qui va accumuler les déconvenues et une malchance hors du commun, #PierreRichard.
Voyez-vous, les équipes se préparaient pour le GP du Canada, toutes sauf une. Je vous laisse deviner laquelle. Sassetti se plaint que des caisses ont dû être larguées par un avion venant de Londres à cause d’un orage trop important et par mesure de sécurité. Manque de bol, c’était des caisses estampillées Andrea Moda. Il soupçonne surtout les dirigeants de la F1 d’être derrière cette histoire puisque les caisses de McLaren, qui étaient dans le même avion, sont arrivées à bon port…
Complot ou simple ironie du sport ? L’équipe est mal vue de par son manque de sérieux car ce sont les seuls à avoir perdu leur cargaison de tout le paddock ! Dans un élan de générosité, Brabham prête un de leurs moteurs Judd pour la voiture de Moreno. Malheureusement, les installations sont complètement différentes et la sanction tombe assez rapidement : non pré-qualifié.
En 1992 après Jésus-Christ, toutes les équipes de F1 parviennent à rejoindre le circuit gaulois de Magny-Cours. Toutes ? Non ! Une petite équipe italienne n’y arrive pas. La cause ? Les blocus sur les autoroutes en protestation contre le tout nouveau permis à points. Sassetti peut s’en sortir en avertissant les officiels, mais il préfère le dire à Bernie Ecclestone, grand argentier de la F1 (qui n’en a rien à foutre soit dit en passant). Résultat : 400 000 dollars d’amende.
L’équipe enchaîne donc deux courses dans des conditions atroces. Puis arrive Silverstone où le cirque Zavata Moda continue de plus belle. Tandis que Moreno fait sa pré-qualification (qui s’achèvera assez vite suite à une panne sèche), Perry McCarthy roule avec des pneus pluie alors que la piste est complètement sèche ! Il en faudra de la lessive pour laver l’affront de l’anglais, qui est de surcroît à domicile. Lui et sa femme lancent d’ailleurs sur le circuit une opération de crowdfunding car ça fait bien longtemps que Sassetti ne lui fait plus de chèques…
Mais l’obscur patron oublie également d’en faire pour ses employés. Et c’est un Moreno assez surpris à son retour aux stands qui découvre que son garage a été embrigadé par Tyler Durden : des mécaniciens expriment leur mécontentement en mettant leur poing dans la tronche du patron !
En Allemagne, Moreno se qualifie. Je déconne, il est largué comme d’habitude. McCarthy tourne, avec les bons pneus cette fois, mais n’arrive à négocier que deux petits tours. Il parvient à se faire remarquer en oubliant de se présenter aux contrôles techniques de la FIA, ce qui lui vaut une petite exclusion pour la route.
CLAP DE F1
Rien ne va plus. En Hongrie, Sassetti continue de s’acharner sur McCarthy (qui roule avec le mulet de Moreno). Il est envoyé en piste pour se préqualifier… à 45 secondes de la fin de la séance. En d’autres termes, cela ne lui laisse même pas le temps de franchir la ligne de départ/arrivée pour commencer son tour chrono. La FIA commence en avoir plein le dos et somme à Sassetti de faire rouler McCarthy sous peine de lourdes sanctions. Lors du Grand Prix suivant, à Spa-Francorchamps, c’est l’apothéose. Andrelol Moda n’a plus à passer la terrible épreuve de pré-qualification, et même de qualification tout court suite aux retraits consécutifs de Brabham et Fondmetal ! Est-ce que pour autant tout va aller pour le mieux ? La réponse est non. Le samedi, Moreno casse son moteur et McCarthy est envoyé au casse-pipe. Son châssis a déjà subi deux (!) crash-tests FIA, et a donc, sans surprise, perdu toute rigidité. Malgré tout, l’équipe continue de l’utiliser et envoie de ce fait McCarthy se tuer en piste. Grâce à Dieu, il est trop lent pour se crasher.
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Ça aurait pu s’arrêter là, mais suite à des impayés, un huissier de justice est venu pour se saisir du matériel de l’équipe. De justesse, Sassetti l’embrouille et produit de fausses factures. Le lendemain, une escouade de policiers se rend sur le paddock pour emmener Sassetti, menottes aux poignets !
Trop c’est trop et une semaine après la course, le 8 septembre 1992, la FIA publie un communiqué. Le Conseil Mondial décide d’exclure l’équipe Andrea Moda du championnat pour, je cite, “nuisance à sa réputation” . Jamais auparavant une équipe avait été exclue pour pareil motif. Mais ce n’est pas un vulgaire communiqué qui va arrêter Andrea Sassetti. Il ne s’avoue pas vaincu pour autant et débarque à Monza quelques jours plus tard. Sûr de lui, car accompagné d’une ordonnance du tribunal de la ville, le fantasque directeur déchante vite suite à l’intervention de S.A.S. Bernie Ecclestone. Les deux s’entretiennent en tête à tête un moment, et Sassetti abdique enfin. Fin de l’histoire pour une équipe tout à fait hors du commun.
QUE SONT-ILS DEVENUS ?
Suite à l’exclusion de son équipe, Andrea Sassetti ira faire un tour outre-Atlantique dans le championnat CART. Cette fois-ci pas comme propriétaire mais comme simple sponsor, celui de l’équipe italienne Euromotorsport pour être plus précis. Comme à son habitude, il échappera à d’autres tentatives d’assassinat çà et là jusqu’à être condamné en mai 2015 à six mois d’assignation à résidence pour faillite frauduleuse…
Côté pilotes, Roberto Moreno tentera un come-back trois ans plus tard dans une autre équipe italienne, bien moins pire qu’Andrea Moda mais tout aussi mauvaise sur la piste : Forti Corse. Perry McCarthy effectuera des essais avec Benetton, puis finira par incarner le tout premier Stig de l’histoire de Top Gear. Il écrira un livre aussi, Flat Out Flat Broke, relatant son histoire dans l’équipe. Il est évident que je vous le recommande.
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Et les châssis S921 vous allez me demander ? Et bien un châssis aura servi à Adrian Campos pour fonder sa propre équipe de F1, Bravo F1 pour ne pas la citer, qui ne verra finalement jamais le jour. Simtec se servira de la S921 pour construire sa toute première voiture en tant qu’équipe à part entière, la S941, en 1994. Les autres châssis sont, à ce jour, encore propriété d’Andrea Sassetti.
BILAN
Les Chiffres
12 : les courses disputées, enfin “disputées” c’est un bien grand mot.
1 : les courses réellement disputées.
1 : les abandons.
4 : les pilotes.
8 : les exclusions et forfaits.
12 : les non pré-qualifications.
3 : les non qualifications.
26 : les balles évitées par Andrea Sassetti tout au long de la saison.
500 000 $ : les amendes récoltées tout au long de la saison.
Les statistiques
- ADS : Caffi et Bertaggia exclus (non paiement d’une caution).
- MEX : Caffi et Bertaggia forfaits (voiture non assemblée).
- BRE : Moreno NPQ (+22s) et McCarthy exclu (superlicence refusée).
- ESP : Moreno NPQ (+16s) et McCarthy NPQ (pas de temps).
- SMA : Moreno NPQ (+7s) et McCarthy NPQ (+15s).
- MCO : Moreno ABD et McCarthy NPQ (pas de temps).
- CAN : Moreno NPQ (+23s) et McCarthy NPQ (pas de temps).
- FRA : Moreno et McCarthy forfaits (bloqués sur l’autoroute).
- GBR : Moreno NPQ (+11s) et McCarthy NPQ (+27s).
- ALL : Moreno NPQ (+10s) et McCarthy exclu (non respect d’un contrôle).
- HON : Moreno NQ (+6s) et McCarthy NPQ (pas de temps).
- BEL : Moreno NQ (+14s) et McCarthy NQ (+24s).
Projet intéressant ! Je suis absolument pas connaisseur mais je me suis vite pris au récit grâce au ton employé, seul bémol selon moi c’est très long (et j’avoue avoir fini en diagonale) mais sympa ca me fait découvrir ! Bonne chance et bon courage pour la suite ! #teamIEJ
Excellent article sur cette écurie mythique, à sa façon.